27 déc. 2010

Première incursion en terre indigène Yanomami

Le 19 novembre 2010, avec la coordinatrice du département de l'éducation de la Secoya, nous avons embarqué à bord du Tanaka pour trois jours de voyage sur le Rio Negro, jusqu'à Santa Isabel, ville la plus proche des premières communautés Yanomami.

C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai redécouvert la routine d'un long voyage en bateau : les hamacs suspendus les uns à cotés des autres, le bruit du moteur, les paysages et le forró, musique traditionnelle brésilienne rythmant notre avancée sur la rivière.
Arrivées à Santa Isabel, nous avons acheté les dernières provisions nécessaires pour un mois, ainsi que certains produits permettant le troc avec les Yanomami (fil nylon, hameçons, tabac etc.). En ce qui concerne l'alimentation, les règles de la Secoya sont bien claires. Chacun amène sa nourriture afin de ne pas dépendre des Yanomami, leurs ressources alimentaires étant souvent insuffisantes. Il est interdit d'échanger ou de donner de la nourriture industrialisée, du sucre ou du sel car les Yanomami ne sont pas habitués à notre alimentation et ceci représente un risque important pour leur santé. Il est également interdit par la Constitution d'introduire toute boisson alcoolisée sur les terres indigènes, toute infraction est passible de deux ans de prison.
Accompagnés de deux conducteurs, nous avons poursuivis notre trajet en bateau à moteur sur le Rio Maraúia jusqu'à Bichu Azu, premier village Yanomami avec lequel travaille la Secoya. Le xapono (maison communautaire) abrite deux grandes familles. Le leader de ce village est décédé il y a 7 mois et depuis la vie du village est comme paralysée. Nous sommes arrivés alors que la célébration de deuil se terminait. Toute la communauté était épuisée, la fête ayant durée sept jours. De ce fait, nous ne nous sommes pas attardés, prévoyant de s'arrêter au retour.

Le lendemain, après six heures de bateau, nous sommes arrivés à Ixima. Le trajet est assez éprouvant car il faut passer trois cascades. Il n'est pas rare que des bateaux se renversent, se brisent et des personnes se sont déjà noyées à ces endroits. Ixima est une petite communauté, dont un des leaders, Carlitos, est particulièrement actif au sein de la Secoya. L'accueil dans ce xapono fut extrêmement chaleureux, ceci beaucoup dans le nom verbal, par des sourires, des gestes de sympathie, beaucoup de plaisanteries échangées en langue Yanomami, plaisanteries que malheureusement je ne peux pas encore comprendre.
A Ixima nous avons débuté les réunions avec la communauté, le but de ce voyage étant d'informer les Yanomami sur la suite du projet d'éduction de la Secoya. Ce projet a permis l'implantation d'une école dans chaque xapono, la formation de professeurs Yanomami, le suivi et la supervision des classes par des professeurs napë (personnes non-Yanomami), ceci en promouvant le droit des Yanomami de bénéficier d'une éducation dans leur langue, qui soit respectueuse de leur culture, leur rythme et leurs nécessités. Ce projet se termine et la suite est encore incertaine car la recherche de nouveaux fonds est difficile.

Trois jours plus tard, nous rejoignons un autre village appelé Pukima Beira. Dans ce xapono, nous retrouvons deux professeurs de la Secoya, qui ont pu m'expliquer d avantage leur rôle dans les écoles.

A Pukima Beira, j'ai eu l'occasion de découvrir un aspect important de la culture Yanomami ; les cérémonies de deuil, appelé Reahu. Lors d un décès, parfois plusieurs mois plus tard, comme c était le cas à Bichu Azu, les habitants des xapono voisins sont invités pour la célébration. Comme je n ai assisté qu'à une phase de cette rencontre, je vais me limiter à raconter ce que j ai pu observer, ceci afin de ne pas faire de fausses interprétations où parler seulement des aspects théoriques du Reahu. Dans un premier temps, je n ai pas vraiment compris ce qui ce passait dans le xapono, les Yanomami nous ayant invité pour une fête. Les filles du xapono nous ont peint le corps de couleur rouge, couleur qu'elles obtiennent en frottant dans leurs mains un type de graine (l'urucu), puis nous ont dessiné des motifs sur le visage, les bras et les jambes. Ces motifs peuvent représenter des animaux comme le jaguar, ou avoir une symbolique guerrière. Puis après avoir également mit des plumes dans leurs cheveux ou leurs oreilles, certaines femmes s'étant aussi parées de fleurs dans les cheveux, tout le monde se réunit à l'entrée du xapono. Chacun son tour ou par petit groupe, les Yanomami entrent en dansant et longe le xapono jusqu'à faire un tour complet. Puis tous les participants entrent ensemble, dansant et s'arrêtant devant chaque maison. En queue de fil, les shamans chantant sous l influence de la parica, substance naturelle hallucinogène permettant le contact avec les esprits. Pour terminer le groupe se rapproche du centre, où se trouve une croix chrétienne et danse encore. Puis la foule se disperse, laissant la famille proche pleurer la personne décédée.

Après Pukima, direction Raita. Les habitants ont quittés le village car les terres ne produisaient plus assez de nourriture. Le second xapono se trouve à environ trois heures de marche de la rivière, par un sentier étroit. A Raita, les conditions ne sont pas évidentes. L'eau est une ressource limitée, seul un faible ruisseau passe en dehors du village. Plusieurs enfants semblaient être dénutris et la pâleur des habitants dénonçait un problème chronique d'anémie.

Le manioc est un des aliments de base des Yanomami. A Raita, j ai pu observer les différentes phases de préparation du manioc. Après la cueillette, les femmes pèlent le tubercule, le lave, le râpe, puis peuvent faire trois préparations. Après avoir lavé le manioc râpé, l'eau récupérée, en séchant permet de faire deux types de farines, l'une pour élaborer la tapioca, présenté sous formes de crêpe, l autre préparation est le beju, qui pourrait être comparé à un pain sans levain. Avec le reste de manioc râpé, en le laissant sécher on obtient une troisième forme de farine. Cette farine est consommée en grande quantité au Brésil, accompagnant presque tous les plats.

Dernier village visité avant de redescendre la rivière, Pukima Cachoeira. Le xapono se situe dans une région magnifique. Une cascade marque l'entrée du village et depuis le centre du xapono, on peut observer les collines environnantes. Cependant bien que le cadre soit magnifique, la présence de nombreux petits cafards rompt le charme de cet endroit. C est une véritable invasion, ces bêtes se faufilent partout, dans la nourriture, les sacs, les habits...ils représentent aussi un risque pour la santé, contaminant la nourriture, entrant parfois dans les oreilles des personnes etc. A cause des cafards, des Yanomami ont déjà été contraints d'abandonner et de brûler le xapono.

Nous quittons Pukima Cachoeira après quelques jours, redescendant le Rio Marauia en direction de Bichu Azu, où une ultime réunion sera menée.

De retour à Manaus, je peux enfin prendre un moment pour repenser à ce que j'ai pu voir et vivre durant cette première incursion dans les terres Yanomami. Il me reste beaucoup de questions et d'impressions que je peux que difficilement décrire. J'ai pu entrevoir la place primordiale qu'occupe le shamanisme dans la culture Y
anomami, ainsi que les croyances en des entités mystérieuses, mais ce ne fut qu'un aperçu. De part ma méconnaissance de la culture et de la langue Yanomami, je n ai pas osé poser beaucoup de questions. Au niveau de la santé, les Yanomami font une séparation claire entre « nos maladies » et les leurs, lesquelles découlent toujours d'une cause spirituelle. Cette vision de la maladie, j'espère pouvoir l'approfondir lors de mon prochain voyage. J'ai également eu un aperçu du système de santé indigène, système qui présente de graves lacunes. Dans chaque village, ce trouve un poste de santé où certains médicaments basiques sont distribués. Normalement un technicien infirmier est présent dans chaque xapono. Il travaille avec un agent de santé Yanomami, qui devrait être formé par la FUNASA. Seulement dans la réalité, les postes de santé sont souvent vides, les agents de santé ne reçoivent plus de formation complète, du matériel basique manque et la gestion des situations d'urgence est extrêmement compliquée...Les Yanomami restent totalement isolés et ignorés...

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